Marie Bagi vous présente,
Espace Artistes Femmes : Rose-Marie Berger ®
est une association et un espace artistique - itinérant et permanent - d’un nouveau genre qui veut mettre à l’honneur les femmes dans le monde de l'art. En raison de notre emplacement permanent et de notre focus sur les artistes femmes, nous sommes la seule association de ce type au monde, concept novateur, qui contribue à la visibilité des artistes femmes au niveau national et international grâce à à des conférences, des ateliers et des visites guidées réalisés au moyen de leurs oeuvres et dans lesquelles le concept de "l'intime" - c’est-à-dire, le lien existant entre leur vie et leurs œuvres et la manière dont la société peut les impacter - est central.
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Il est dédié à Rose-Marie Berger (1922-2019)- plus connue pour avoir été l'épouse du grand historien de l'art, philosophe et ancien directeur-conservateur du Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, René Berger (1915-2009). Elle était une artiste de talent, comme beaucoup d'artistes femmes avant elle et aujourd'hui, dont le travail n'est, jusqu'alors, pas mis en lumière dans les musées ou encore dans les galeries.
"On ne devient pas artiste: on naît artiste." © Marie Bagi, présidente et fondatrice
*** Lumière sur une artiste ***
Aujourd’hui je vous présente l’artiste plasticienne Kathy Le Vavasseur rencontrée via LinkedIn et dont j’ai eu le plaisir d’entretenir une conversation téléphonique riche. Entre son histoire, le monde de l’art, la production et le besoin artistiques, Kathy se livre avec ses tripes et son cœur et je sens alors toute l’importance de sa création dont il est possible de déceler une évolution intéressante.
Kathy est née à Sadéc au Vietnam où la politique la pousse, elle et sa famille, à s’en aller. Son papa, sculpteur, designer et italien d’origine, l’initie dès son plus jeune âge à l’art puisqu’elle a l’habitude de passer des heures dans son atelier. Aussi loin qu’elle se souvienne et, plus précisément, ses quatre ans, Kathy a proclamé son envie d’être artiste, me dit-elle. De ce souvenir émerge celui où elle dansait dans l’atelier de son papa, continue-t-elle. En premier lieu, elle était portée par la danse dont elle était fascinée par les mouvements. Au Vietnam, il n’y a pas d’écoles de danse et elle doit abandonner l’idée de commencer dans cette voie. De ces mouvements de danse liés à ses souvenirs, Kathy va les retransposer dans ses sculptures et volumes, quelques années plus tard. La frustration de ne pas avoir pu danser la renvoie à élaborer la matière de manière animée et vivante. Lorsque nous regardons d’ailleurs son travail, nous avons cette impression que tout tournoie. Kathy travaille les matériaux elle-même. C’est d’une importante capitale, me dit-elle. Le fait de prendre physiquement la matière et de lui donner vie lui fait retrouver les sensations vécues dans le passé. Un voyage dans le temps à travers une conception artistique dont la matière prend forme.
De la part de sa famille, Kathy ne fut guère encouragée et elle a été poussée à réaliser d’autres métiers dans lesquels elle ne s’est jamais trouvée, continue-t-elle. Car, la « pulsion vitale », comme elle l’appelle, n’était pas présente dans ces derniers. Une prise de conscience est alors survenue et Kathy a arrêté d’évoluer dans ce qui ne lui permettait pas de s’épanouir. Elle décide donc de reprendre des études d’art et de cesser de disparaître derrière d’autres structures auxquelles elle ne s’identifie pas. Elle prend l’initiative de déposer son dossier lors d’un concours artistique et cela a fonctionné. Elle s’est tout de suite sentie plus confiante et ancrée dans son métier d’artiste se sentant enfin vivante. Cette « pulsion vitale » prend son sens et l’imbrique dans son histoire, son environnement. Profondément empreinte par le Gange et le Mékong, ainsi que par ses histoires familiales, elle focalise sa production artistique sur des éléments vitaux tels que les viscères, la chair mais aussi la peau, en elle-même. Avec ces éléments, Kathy évoque constamment la renaissance qui devient un concept important dans sa création. Elle questionne la notion de l’identité, étant elle-même déracinée. Ainsi, sa création va prendre une tournure intéressante avec des compositions macros. En effet, Kathy va utiliser des radiographies de son corps, ou de personnes inconnues, afin de les transposer en les liant à des jets de verre translucides qu’elle file dans l’antre de son atelier. Grâce à cette technique du verre, Kathy montre ce qui est la partie invisible de l’être, à nos yeux. Elle va d’ailleurs utiliser des symboles repris de la science tels que neurone, genèse ou encore translocation. La fluidité est aussi une symbolique qu’elle utilise dans ses œuvres jouant avec les notions d’équilibre et de matière. Cette façon d’élaborer son travail rend les structures élastiques et aériennes. L’agitation du Gange représenté par la maille d’un collant tel un voile élaboré et animé en est un exemple. Les formes sont composées de manière élaborée à la façon qui lui sied. Elle ne va prendre en considération l’aspect esthétique de l’œuvre. Elle va plutôt à la recherche de ce que cette dernière peut exprimer au travers de ses techniques. Les sujets, les fragments, les séries mais tout simplement la forme, font partie intégrante de cette production foisonnante. Cette dernière inclut également la terre qui occupe une place importante et dont les significations sont lourdes de sens. C’est le lien entre l’air et l’eau qui va lui permettre d’utiliser la technique de « Nérikomi » - une technique artistique pour créer de la poterie japonaise dans plusieurs couleurs d’argile – pour montrer les diverses couches d’individualité et recréer encore le paradoxe de la fluidité, d’un ancrage certain à la terre mais aussi le mouvement qui ne cesse d’être présent. De cette recherche va naître « les Mues » en avril 2020, en plein confinement, qu’elle conçoit pour diverses installations. Sur des chutes de collants, Kathy va faire couler de la peinture translucide et colorée. Cette technique lui est propre et elle l’utilise d’ailleurs depuis de nombreuses années. Ce processus laisse alors la place à une sensation de peaux fines et reptiliennes qui paraissent à la fois fragile et robuste. Le mouvement vient ensuite d’imbriquer entre les mues qui s’agitent et s’entortillent entre elles faisant ainsi penser qu’une connexion charnelle se dévoile. Suspendues et en mouvement, les mues sont figées au moment de leurs chutes. La notion de l’identité mais aussi de l’intimité questionne tout son processus. Le changement de peau est lent et graduel et inclut une transition ou une rupture avec ce que nous avons été avant. Il faut savoir accepter les changements qui font partie de la vie et nous pouvons y lire une marque du temps qui courent, comme sans arrêt en mouvement. Tout comme le travail artistique de Kathy qui se meut dans l’espace et dont l’évolution appelle à l’abandon d’un état. En soi, Kathy recrée les changements vécus dans sa vie afin d’en comprendre les mécanismes. Nous pouvons également y voir une manière d’accepter ce que nous ne pouvons contrôler. A la manière du temps, ses œuvres se transforment, se muent, pour laisser place à une nouvelle forme de créativité qui implique, sans arrêt, ces notions d’identité et d’intimité. Car, comme je l’ai souvent dit, un.e artiste ne peut pas faire fi de sa propre vie lorsqu’il crée. Cette dernière l’accompagne. Kathy met en évidence cette vérité qui nous montre toute l’ouverture et les possibilités que possède son art, et que ce dernier reste à jamais une « pulsion vitale ».
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Autrice : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie
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Le 11 avril 2022