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*** Lumière sur une artiste ***

Marie Bagi vous présente,

 Hélia Aluai 

"Artiste plasticienne

et illustratrice"

Hélia Aluai
Hélia Aluai

            Aujourd’hui je vous présente l’artiste Hélia Aluai qui m’a chaleureusement accueillie dans son magnifique atelier de Lausanne qu’elle partage avec quatre autres artistes. Au fur et à mesure de la conversation, elle va me raconter ce qui l’anime et quel(s) tournant(s) sa vie a pris tout en étant agrémentée par l’art. En un instant, Hélia sait captiver l’attention de son auditeur lorsqu’elle précise en quoi son art est lié à sa vie.

Hélia est née au Cap Vert, sur l’île de Sal, lorsque celui-ci était encore une colonie portugaise, mais elle a grandi, non loin de Porto, au Portugal, à Espinho – ville d’où était originaire sa mère –, au bord de la mer. Arrivée en Suisse avec son ex-mari il y a six ans, elle me confie que ce changement fut difficile. Elle a dû créer son réseau et ce n’est pas évident surtout lorsque nous ne parlons pas la langue tout de suite, ajoute-elle. Vivant pour l’art et ne comptant pas les heures de créations, Hélia s’est fait une place notamment avec les cours de dessin et d’illustration qu’elle dispense chez « Canvas », école d’art et de mode à Lausanne ainsi qu’à Renens. Elle aime beaucoup l’échange avec les adolescents car, me dit-elle, ils participent activement et sont pourvu d’un grand intérêt pour ce qu’ils étudient. Amatrice de réalisation de dessin, cela n’est pas toujours facile surtout lorsqu’il s’agit de dessins académiques. Hélia se forme aux Beaux-Arts de Porto en sculpture durant cinq ans ; trois ans entre peinture et graphisme et deux ans de spécialité sculpture. Puis, elle se dirige vers un master d’architecture. Depuis quelques années, elle développe son travail autour des médiums de l’illustration et du tissu. Elle m’explique le pourquoi un peu plus loin dans la discussion.

Issue d’une mère artiste autodidacte, qui privilégiait la peinture à l’huile, et d’un père militaire stricte, son éducation se fait au rythme l’art mais aussi de la sévérité. Elle a quatre frères et sœurs dont deux aussi dans les arts ; une sœur, musicienne et une frère, batteur et archéologue. Elle ajoute que le côté musique leur provient de leur père qui était, malgré sa carrière militaire, un musicien hors pair.

L’art pour Hélia, c’est aussi un moyen d’échanger avec les gens. Elle aime l’opinion du public sur son travail ainsi que son interprétation. Mais ce qu’elle a eu du mal accepté au départ, c’est la critique – qui n’est pas sensible à cela ? Mais elle ajoute que cela fait partie de l’apprentissage de vie d’artiste, en riant. Hélia a commencé le dessin lorsqu’elle était enfant. En effet, étant dyslexique, elle avait beaucoup de difficulté à s’exprimer et le dessin a été sa porte de sortie, son moyen d’expression, son évasion. Aujourd’hui, en étant en Suisse et en ayant dû apprendre la langue, elle me dit que c’est un véritable défi, chaque jour. De plus, elle dessine car elle n’aime pas écrire et cela est valable encore maintenant, me dit-elle en riant. Il y a d’ailleurs, lorsque nous regardons ses illustrations, des expressions diverses et variées qui semblent vouloir nous communiquer quelque chose d’important.

De sa mère, Hélia a hérité une machine à coudre. Lorsqu’elle est arrivée en Suisse, elle a commencé à travailler avec le tissu car facile à manipuler. La machine à coudre de sa mère la guide à chaque fois dans son processus ; une manière de rester en lien avec elle grâce à ce travail sur le « fil qui pend » et qui peut s’implanter là où il veut. L’artiste travaille toujours avec du tissu transparent car, pour elle, c’est une manière de pouvoir l’introduire aisément dans l’espace environnant. Ainsi, toute barrière est évitée. Ce tissu devient alors protection, continue-t-elle. Elle ajoute que se sont toujours des autoportraits qui sont représentés – en effet, je vois la forme d’un visage de profil sur l’œuvre qu’elle me tend – et ce, pour une raison bien précise : les fils qui pendent représentent des racines, ses racines. En effet, en partant du Portugal, elle s’est déracinée de son environnement pour « tenter » de s’enraciner ici, en Suisse. Ces racines/fils suspendu.es sont le témoignage de quelqu’un essaie de trouver sa voie en s’adaptant aux us et coutumes du pays d’accueil d’où le choix de la transparence du tissu – montrer qu’elle n’a rien à cacher. A ces deux éléments, du tissu et du fil, vient s’ajouter la pierre. Hélia me montre et me fait sous-peser des pierres de diverses tailles et de poids différents enroulées dans du tissu et, normalement, appendues à un fil entourant ces dernières. Elle aime transformer la matière mais aussi les endroits qu’elle investit avec son œuvre. En soi, c’est une manière de vouloir laisser une trace là où elle a été, laisser une racine. Elle me montre ensuite des pierres qu’elle a réalisé au sagex afin de revenir vers un poids plus léger autour desquelles elle a placé un fil rouge ; celui-ci caractérise la passion, le cœur et contraste avec le noir du tissu. L’origine de ce processus avec la pierre lui vient d’une réalité qu’elle a vécue avec des pommes de terre et ses racines qui leur permettent d’en créer d’autres et ainsi s’implanter et perdurer.

Tout ce travail, continue-t-elle, est de l’ordre de l’intime. D’ailleurs il est difficile pour elle de le réaliser car elle réfléchit beaucoup et se tourne énormément vers ses souvenirs. Le tissu, par exemple, provient de chez ses parents – les rideaux – c’est donc, ajoute-elle, une matière sentimentale. S’ajoutant à cela, elle me dit qu’elle travaille aussi au crochet car cette technique lui rappelle la toile d’araignée de laquelle, elle a toujours pensé que c’était une protection pour la maison où tu grandis – cette maison qu’elle a dû vider aux départs de ses parents, processus difficile. Je retrouve Louise Bourgeois (1911-2010) dans ses propos qui pour elle, l’araignée était positive car représentait sa mère, symbole notamment de protection. Hélia part de sa propre vie pour constituer son œuvre. Elle essaie ainsi de réinsuffler la vie de ce qui a été pour ce qui va devenir et perdurer, enfin elle l’espère. Ce fil – retrouvé également dans l’œuvre de Louise Bourgeois – constitue son œuvre et lui permet de créer un dialogue avec elle-même. En effet, si sur ces tissus elle crée, au moyen du fil, des autoportraits c’est parce qu’une partie d’elle-même s’y trouve.

En ce qui concerne les illustrations, Hélia me dit que c’est simple, plus léger. Elles sont, pour la plupart du temps, en noir et blanc et réalisées soit avec l’encre de Chine soit avec Procreate ou encore son iPad mais, en général, elle préfère sentir la matière, me confie-t-elle. Les figures qu’elle représente sont très souvent féminine avec un visage ovale et horizontal qui ressemble beaucoup à la fameuse Betty Boop tout en s’appropriant son propre style. De plus, les figures de Hélia s’apparentent plus à des jeunes filles que des jeunes femmes. Je lui dis alors qu’il s’agit peut-être d’une projection d’elle-même et de sa vie de petite fille. Elle a l’air d’abonder dans ce sens. Ces petites filles ont la particularité de faire apparaître un sentiment sur leurs visages. En effet, tiré de son amour pour le Fado, ces jeunes filles semblent mélancoliques ; le fameux mot « saudade », intraduisible en français. La « saudade » du temps passé et la petite fille qu’elle était sont des éléments qui viennent alimenter sa réalisation d’illustrations. En ce moment, elle me dit qu’elle travaille pour l’affiche d’un cirque mais aussi sur des éléments autour qui viennent agrémenter cette affiche. En effet, elle a créé des poupées en tissu, feutres et acryliques, issues de personnages fameux du cirque avec d’autres illustrations de figures mythiques de ce domaine-là. Elle me montre d’ailleurs ses dessins qui sont particulièrement incroyables puisque, reconnaissables, ils possèdent tout de même sa patte, sa touche qui les rendent si particuliers.

Hélia fait partie, depuis le début de l'année, du "Aquatre collectif" avec trois autres artistes qui seront présentées dans les prochaines semaines. En ce moment, elles travaillent sur une oeuvre collective dont j'ai pu avoir un aperçu cet été. Affaire à suivre...

Dans sa démarche captivante, Hélia sait interloquer le public grâce à son récit de vie qu’elle transpose dans ses œuvres et qui deviennent alors témoins de ce qu’elle a vécu et de ce qu’elle souhaite laisser derrière elle. La création est, pour elle, vitale et est sa compagne de vie avec laquelle elle ne se voit jamais séparée. Une œuvre riche qui nous transporte dans un univers réinterprété par l’artiste et qui est représentatif de ce qu’elle vit au quotidien.

 

 

 

Auteure : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie

 

 

Publié le 30 août 2021

 

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