Marie Bagi vous présente,
Espace Artistes Femmes : Rose-Marie Berger ®
est une association et un espace artistique - itinérant et permanent - d’un nouveau genre qui veut mettre à l’honneur les femmes dans le monde de l'art. En raison de notre emplacement permanent et de notre focus sur les artistes femmes, nous sommes la seule association de ce type au monde, concept novateur, qui contribue à la visibilité des artistes femmes au niveau national et international grâce à à des conférences, des ateliers et des visites guidées réalisés au moyen de leurs oeuvres et dans lesquelles le concept de "l'intime" - c’est-à-dire, le lien existant entre leur vie et leurs œuvres et la manière dont la société peut les impacter - est central.
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Il est dédié à Rose-Marie Berger (1922-2019)- plus connue pour avoir été l'épouse du grand historien de l'art, philosophe et ancien directeur-conservateur du Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, René Berger (1915-2009). Elle était une artiste de talent, comme beaucoup d'artistes femmes avant elle et aujourd'hui, dont le travail n'est, jusqu'alors, pas mis en lumière dans les musées ou encore dans les galeries.
"On ne devient pas artiste: on naît artiste." © Marie Bagi, présidente et fondatrice
Lumière sur une artiste
Je vous présente Charlotte et notamment son talentueux travail photographique. Elle est la première artiste avec laquelle j’ai voulu travailler. Pas seulement parce que nous avions déjà travaillé ensemble dans un autre contexte mais surtout parce que sa personnalité et ses œuvres m’ont interpellées dès leur découverte. A l’époque de notre rencontre, je terminais mon doctorat et je lui avais parlé de mon futur projet qu’elle avait trouvé très intéressant. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’une collaboration. Jusqu'à présent, je n’avais pas écrit sur elle – ne sais-je pourquoi… Il est donc temps d’y remédier.
Lorsque Charlotte me parle de son travail, je décèle en elle une sorte de fragilité intérieure qui semble être source de sa création. Mais cette fragilité, presque imperceptible, est utilisée comme une force que se soit au travers de la photographie ou d’autres médiums ; dont nous abordons le sujet. Je lui demande alors pourquoi la photographie ? Elle me répond en riant que c’est parce qu’elle ne sait pas peindre. Je veux bien la croire mais je pense, après réflexion, que la photographie est un don inné chez elle. Elle continue en me disant que la photographie met en valeur une image qui permet la réflexion. Elle me donne l’exemple d’éléments architecturaux, que nous pouvons retrouver dans son travail, dont elle apprécie la droiture, la symétrie et l’organisation. Elle me dit que c’est rassurant mais qu’en même temps, cela nous dépasse. En soi, continue-t-elle, c’est comme le corps humain. Nous sommes tous des « tas de chairs » que nous pouvons éplucher comme des mandarines. Ce clin d’œil me rappelle alors l’une des anecdotes que Louise Bourgeois (1911-2010) avait raconté sur son passé lorsque son père, à table avec la famille, avait dépecé une mandarine en forme de corps et avait déclaré qu’il s’agissait de sa fille. Charlotte me parle alors de la réflexion que nous pouvons avoir sur soi ; le fait de grandir et ensuite de vieillir. Le corps change, la texture de la peau, les plis qui se forment ; tout cela nous amène à nous plonger au cœur d’une pensée qui nous dépasse. La photographie permet donc de capturer un moment et de souligner la continuité de la vie à travers ce moment figé. La décomposition de la peau mais aussi la régénération de celle-ci sont des concepts qui fascinent l’artiste. Elle utilise des mots tel que « pourriture » ou encore des verbes tel que « grouiller » pour expliquer sa pensée. Elle me raconte une performance qu’elle avait réalisée dans la forêt avec des draps de couleur chair – voir photographie. Ceux-ci devaient représentés la peau d’un corps humain étendue sur un système de cordage. La forme de la peau pouvait faire penser à celle d’un vagin et pouvait faire penser que l’artiste voulait dénoncer un certain féminicide. Or, il n’en est rien. Il n’y a pas de vécu et l’artiste n’avait pas envie de s’approprier le sujet et devenir source de polémique. C’est pourquoi, elle continue en me disant que cette peau était en effet lié à la femme mais plutôt pour marquer la féminité de cette dernière. Lorsque nous grandissons, nous l’entrevoyons de plus en plus jusqu’à ce qu’elle fasse partie de nous. Un concept qui nous a aussi été transmis par Simone de Beauvoir (1908-1986) qui avait écrit que nous ne naissions pas femmes, mais que nous le devenions.
Charlotte prend énormément de recul face à ses œuvres. Une envie de ne pas se prendre au sérieux est souvent un sentiment qui la traverse. Prendre des photos est une réalité qui lui permet de s’échapper ; ce sont les meilleurs instants de sa vie. La photographie l’amène l’histoire et les couleurs – même si elle travaillait au début avec le noir et blanc sur une projet personnel. L’association des couleurs devient importante pour Charlotte qui va découvrir les différentes teintes de couleurs chaires lorsqu’elle travailla sur sa série « Curves » - dont je vous joints les images et les textes écrit par mes soins – réalisée en 2018. Les couleurs dialoguent également entre elles dans sa série art vidéo « Porn food ».
C’est après son école de photographie réalisée à Vevey et la rencontre avec les bonnes personnes que Charlotte décida de se lancer dans ce métier devenu sa raison de vivre.
Image « Curves » 2
Cette image fait l’objet d’un contexte corporel plus lisse dont les plis se mélangent.
La pilosité est absente. Nous avons l’impression de reconnaître certaines formes, à gauche, tels un ventre rebondi de femme enceinte qui se marierait avec la ligne entre-fessière placée à côté de celui-ci ; comme s’ils étaient en réalité liés. Les masses qui s’accumulent et se mixent nous donne l’impression de plonger au cœur d’une sphère encore inconnue : le mélange des corps revisité par la notion du genre qui transcende l’image en elle-même. Nous n’avons plus la vision que nous connaissons de deux corps qui pourraient n’en faire qu’un mais plus des parties corporelles de tiers dont nous ne pouvons distinguer la réelle position. Au cœur de cela s’ajoute une réalité que l’artiste essaie de démontrer. Il s’agirait ici d’une réalité non genrée qui nous permettrait d’avoir une nouvelle réflexion sur le sujet voire même sur l’image en elle-même. Qu’évoque, au fond, cette image dont la réalité des lignes pourrait nous faire penser qu’il s’agisse et d’un homme et d’une femme ? Au fond, sommes-nous réellement différents ? Au vu des parties choisies, il est possible d’évoquer une réflexion sur la nature du corps en lui-même. En soi, qu’avons-nous de si différent ?
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Auteure : Marie Bagi, docteure en Histoire de l’art contemporain et Philosophie
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Publié le 10 mars 2020